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  • Photo du rédacteurRebecca Domergue

Coacher l’hypersensibilité: un parcours différent des autres?

Dans votre tête, ça part dans tous les sens. Vous vivez intensément, et votre sensibilité émotionnelle vous joue des tours. Vous êtes peut-être doté.e de ce trait de personnalité : l’hypersensibilité, mais attention à l'effet Barnum.


Femme devant un lac de montagne

Vertige ? Bascule ? Anomalie ? Décoïncidence ? Trouver les mots à poser sur ce qu’on ressent mais qu’on ne connaît pas encore est un exercice frustrant, laissant une impression d’à côté, d’incomplétude, de pas tout à fait ça. Un sentiment d’étrangeté nous saisit lorsque nous éprouvons un ressenti anormal devant une situation normale en apparence.


Tout d’abord, je tiens à préciser que pour moi, le mot hypersensibilité n’est justement qu’un mot, une abstraction, une étiquette à la mode (comme féministe ou écologiste) qui par un effet de minorisation tend à marginaliser les gens très sensibles.


Tout porte à croire que l’hypersensibilité est une affaire de niveau élevé de sensibilité, donc de seuil bas de réceptivité. Elle amplifie pêle-mêle les expériences et entraîne selon les personnes une grande réactivité aux stimuli, qu’ils soient internes (pensées, croyances, douleurs) ou environnementaux (ambiances, bruit, odeurs). Les sujets sont soumis à toute une palette d’émotions (hyperémotifs), de sensations (hyperesthésiques), d’idées (hyperpenseurs). Devant trop de ces dernières, on voit apparaître des phénomènes de blindage, d’évitement ou de suradaptation.


Une première question d’ordre philosophique se pose : en avez-vous conscience ou pas ? Et si non, en cas de méconnaissance inconsciente, quelle peut bien être votre demande à un coach ?



Savoir ou pas


Débarrassons-nous de cette question : faut-il que le coach soit hypersensible pour accompagner un client hypersensible ? À mon sens, même si chaque personne est singulière, il serait recommandé que le coach ait au moins une connaissance poussée de ces profils spécifiques et de leur fonctionnement, pour être préparé à la problématique du cadre, à canaliser le flot de leurs pensées et émotions (qui font que même la définition d’un objectif peut être difficile), et pour pouvoir les accompagner vers la connaissance de leur nature profonde.


Comprendre pourquoi ces personnes ont besoin de se reconnaître dans un type de profil et de fonctionnement nourrit le rapport collaboratif. En plus, il y a des chances que le client sente si le coach est dans l’acceptation ou la négation de son identité et de ses valeurs. Par extension, un coach sensible, empathique et ouvert d’esprit aura l’avantage d’être reconnu par le client, les hypersensibles estimant ceux avec qui ils se sentent lié comme leur égal.


Par ailleurs, selon que le client ignore ou non ses spécificités, l’accompagnement ne sera pas le même. Pourquoi ?

  • En vertu du principe d’autonomie, un coach n’induit rien pour son client.

  • Il convient d’éloigner d’éventuelles causes pathologiques du champ d’application du coaching.

  • Si un "neurotypique" avait ces particularités, cela correspondrait peut être à de la prétention ou de la condescendance. Pour les personnes dites "atypiques", n'est-ce-pas leur fonctionnement normal ?


Le tiers des personnes interrogées dans mon sondage (sur 50 personnes) pense que l’hypersensibilité est une maladie ! Alors quand faut-il y voir un trouble ou une autre forme de normalité ? Bien que les psychologues sachent distinguer ce qui relève du trouble des traits de la personnalité, les résistances à la consultation sont nombreuses chez les personnes sensibles parce qu’elles sentent que ça ne devrait pas être un problème. Elles ne savent pas exactement quoi chercher sinon un genre d’abstraction, ni si cette abstraction concerne bien leur psychologie. D’ailleurs j’utilise ici le vocable de la sensibilité sans être certaine de sa justesse. A l'époque du premier confinement, j’avais eu tout le loisir de glaner d’autres explications dans les centaines de témoignages du site communautaire Atypikoo.com :

  • Peu de recherche, de publications, de praticiens formés, d'accords sur les mots.

  • La peur de ne pas être compris, de se tromper, d’être déçu, d’être jugé, de se perdre.

  • Faute de sujets avisés quand ils se méconnaissent eux-mêmes et ignorent leurs spécificités.

  • Faute d’alliance thérapeutique, les sujets méfiants ou désabusés ayant tendance à anticiper les questions et réponses des psychologues.

  • La psychothérapie n’apporte pas toujours de résultat satisfaisant quand on ne sait pas ce qu’on cherche, ou à l’inverse quand on connaît déjà les causes du problème (quand nous n’avons pas affaire à un trouble, on parle d’acceptation, de considérer cette sensibilité comme une chance).



L’hypersensibilité, une chance?


Il y a des choses que seules les émotions peuvent faire, comme créer des représentations émotionnelles qui se diffusent dans une pensée créative, en associant des idées de façon inédite. Les hypersensibles, grands émotifs, seraient donc des originaux en puissance, des créateurs de métaphores ; un rôle que même les voies cognitives d’association leur envient.


Mais quand des hypersensibles ignorent qu’ils le sont, ils ont surtout le sentiment diffus d’un décalage fondamental ou censurent leurs émotions et intuitions au regard de la norme. Ils se posent alors la question de ce que je nomme le stade 1 : "Qu’est-ce qui cloche (chez moi) ?" Question pouvant résulter d’une incompréhension récurrente de l’entourage du sujet devant ses actions ou ses pensées.


Comme beaucoup de coachings, le travail sur cette demande peut être suivi d’un alignement identitaire avec la question du stade 2 : "Qui suis-je ?" En effet, identifier une pensée ou un comportement dysfonctionnel puis une fois ce mécanisme expliqué proposer l’essai d’une pensée ou d’un comportement alternatif peut se révéler insuffisant dès lors que ce qui les motive est toujours présent. Une recherche identitaire va amener les sujets à mieux se connaître, prendre conscience de leurs talents et proposer des solutions durables à leurs problématiques.


Si le stade 2 n’a pas suffi à trouver du sens, ou si les personnes se découvrent un potentiel créatif qu’elles souhaitent développer/canaliser, elles en arrivent au stade 3 : "Qu’est-ce que je peux faire de plus ?" Nous avons là le public averti de sa sensibilité et de ses possibles mais pour qui la vie est toujours un problème. Le coach peut alors stimuler le potentiel créatif du client par de nouvelles stratégies de questionnement pour trouver d’autres réponses.



sur le cadre


Au début d’un processus de coaching, le coach cherche à définir et redéfinir le problème d’un client en posant des questions pour dresser un état des lieux, dégager des valeurs et visualiser un idéal, puis en comparant cet idéal à la situation actuelle. Ce problème est-il lié à des situations particulières ou à la personnalité du client ? La posture du coach et la souplesse du cadre permettent une libre émergence des solutions : le client n’est pas enfermé ni dépossédé de ce qu’il est. Un questionnement stratégique précis permet de rester focus sur un objectif. On laisse les idées diverger mais on aide à la convergence.


Contrairement au processus créatif où il est de bon ton d’en sortir, en coaching on fixe un cadre pour être libre d’y rester. J’insiste sur cette proposition : être libre d’y rester. Car là où une relation intersubjective normale (acceptable déontologiquement) entre un coach et un coaché voudrait qu’on s’autorise à être soi grâce au cadre du coaching qui fixe les modalités de cette relation, deux hypersensibles vont d’abord s’interroger mutuellement et trouver leur propre supposé référentiel commun. Le cadre sera prétexté comme secondaire pour permettre cette rencontre. J’interroge le coach : comment formaliser ce cadre ? Ce cadre doit être perçu comme le garant du déroulement d’une méthode. La bonne distance ne doit pas s’imposer, elle s’acquiert avec l’expérience, dans l’équilibre du rapport collaboratif.



Trouver un objectif


– Daria, quel est ton but dans la vie ?

...


Selon Yves Blake, coach pour HP, certaines personnes semblent avoir du mal à se fixer des objectifs. Elles maintiennent en permanence un maximum d’options possibles, ce qui peut être un mécanisme de défense. Pas d’objectif, ou bien un objectif vague voire tautologique (une des premières demandes que l’on m’a faite : "Mon but, ce serait d’en avoir un"). Résultat, elles papillonnent en dilettante et au final leur solution devient leur problème.


Pourquoi faudrait-il avoir un objectif ? Je ne suis pas une caméra…

Avoir un objectif est un prétexte pour changer ; sans volonté de changement (que ce soit connaître ou agir), nul besoin de coaching. La vie a peut-être son propre but, qui sait ? Ici le coaching répond au besoin de ne pas se laisser aller aux errements de l’existence si l’absence de conscience de soi nuit. Remplacer l’errance par l’itinérance (l'expression est de Cyrulnik, sauf erreur).


En travaillant sur des informations manquantes (sélection), j’ai aussi remarqué que certaines personnes romantiques ne sont pas précises sur l’objet de leur bonheur ; quand elles sont heureuses c’est un état d’esprit. Il y a de la beauté à rester vague, et le désir d’être inutile. Difficile de trouver ce qui ne s’exprime pas. À celles-ci il faudrait rappeler qu’expliquer l’expression et la perception des émotions ne change pas leur caractère délicieux ou horrible, ni leur statut dans les domaines de l’art. Savoir comment nous voyons ne rabaisse pas ce qui est vu, connaître ce qui sous-tend nos aspects cognitifs et comportementaux ne diminuent en rien la valeur de ces derniers. Se comprendre soi-même est compatible avec les idées romantiques.



Être ou avoir un haut potentiel


Qu’est-ce qu’un haut potentiel ou surdoué par rapport à la norme et quel rapport avec l’hypersensibilité ? Comme dans la dénomination hyper, ces préfixes en haut et en sur indiquent que des gens possèdent des aptitudes supérieures à la moyenne, peut-être dans un ou plusieurs domaines. Or je distingue dans les débats actuels deux définitions de cette supériorité qui n’ont pas grand-chose à voir l’une avec l’autre, bien qu’elles ne s’excluent pas. Appelons les ici les surdoués de type 1 et 2.


Dans les tests Wechsler, où une population est représentée par une loi normale (courbe de Gauss), les surdoués de type 1 sont ceux qui se situent au-delà de la barre arbitraire et ordinale des 130 points de Quotient Intellectuel (le QI détermine une vitesse de traitement d’informations abstraites et complexes), soit deux écarts-type au-dessus de la norme. Ils représentent 2 à 2,5% de la population. Ce qui interroge : pour que la taille du QI ait à voir avec l’hypersensibilité, il faudrait que la sensibilité d’un individu soit corrélée à sa vitesse de traitement. Que dire alors des hypersensibles non doués, c’est-à-dire dotés d’un QI inférieur à 130 points ?


Les surdoués de type 2, pour ne pas dire les mal-nommés, sont des gens qui ont un rapport au monde différent de la norme. Ici on cherche, au lieu de ce qui rend quelques individus plus intelligents, ce qui rend la majorité bête. Certaines personnes voient au-delà des cadres usuels, sans cette réduction imposée par les codes de leur environnement – comme s’ils avaient conservé intact un regard d’enfant. Ce qui interroge : ce besoin de tout savoir, chez le jeune enfant qui expérimente la vie, pourquoi sommes-nous si peu nombreux à le conserver une fois adulte ?



Conclusion


J’en retiens que l’essentiel est de comprendre comment fonctionnent les personnes et de travailler certaines fonctions cognitives, car penser de manière avisée s’apprend, et on peut toujours apprendre. Se découvrir hypersensible donne du sens, à condition de faire attention à l'effet Barnum (biais cognitif qui induit l’individu à accepter une description vague de la personnalité comme s’appliquant spécifiquement à sa propre personnalité). On peut revisiter son passé sous un nouveau regard, se réconcilier avec soi, être plus confortable avec les autres et envisager un nouvel avenir, en phase, au calme.


Les émotions ne sont néfastes que lorsque nous les ignorons. En les conscientisant, nous pouvons en faire une importante source d’information. Il convient alors de décider ce que ça apporte, d’être comme ça. Une chose est sûre : la régulation des émotions désagréables en durée et intensité est une clé du bien-être affectif durable. Le coaching de l’hypersensibilité consiste donc à faire affleurer cette conscience de soi, à identifier les émotions et sensations, à doser l’agréable et le désagréable, et enfin à trouver des réponses appropriées à la situation et à qui l’on est. Adopter le point de vue des autres en particulier rend créatif et permet de se sentir moins seul.


En revanche, de la même façon qu’on ne peut utiliser d’outils si on n’a pas de matière, on ne peut tirer le meilleur parti de sa sensibilité quand on ignore qu’elle existe. À la décharge du coach, c’est difficile d’aider une personne qui ne s’aide pas d’abord elle-même.


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