"Presque tous les penseurs aperçoivent en eux-mêmes (c’est à dire dans l’univers, car l’homme est un microcosme) une sorte de vide d’abord terrible (…) et au fond, une lueur. Une sorte d’affirmation se dégage lentement de ce gouffre. (…) L’intuition est à l’aise dans l’insondable." Victor Hugo
Adepte des thérapies cognitives et comportementales,
je n’en demeure pas moins ouverte aux disciplines qui osent aller plus loin, pourvu qu’il y ait des résultats. Lorsque l’an dernier un membre de la commission recherche de la fédération EMCC a proposé une conférence sur les états modifiés de conscience, je me suis interrogée sur les liens à créer avec le coaching. Attention flottante, défocalisation, intentions… Dans les domaines de la conscience, la transe semble augmenter les possibles. Par hasard, je me suis intéressée à la plus prometteuse d’entre toutes (pour moi), la TCAI. Longtemps, il a fallu attendre que le TranseScience Research Institute ouvre ses ateliers découverte aux non-soignants. C’est désormais chose faite, alors j’ai foncé.
TCAI signifie Transe Cognitive Auto-Induite.
Cette TCAI est un état modifié ou non-ordinaire de conscience parmi d’autres (contemplation, méditation, rêve, hypnose, orgasme, psychotropes, autres types de transes etc.) Pour évoquer la transe sans faire bondir les sceptiques, je tiens à dire tout de suite que ma curiosité pour la TCAI a été nourrie par les résultats des recherches sur cette discipline qui est à l’origine de premiers articles scientifiques (sources en bas de page) et de deux diplômes universitaires à l’université Paris 8, précurseur dans les domaines de la cognition. Je signale aussi que nous expérimentons tous des états de conscience non ordinaires sans le savoir, par exemple dans des situations d’urgence vitale. Mais l’objet de cet article de blog est de vous raconter ce qu’il s’est passé entre le 28 août et le 2 septembre 2022 au Hameau de l’étoile à Saint-Martin de Londres, dans l’Hérault en Occitanie.
Dimanche 28 août, 15h30
Je viens d’arriver à la gare de Montpellier Sud de France, encore fatiguée de mon week-end à Paris et du festival Rock en Seine de la veille. Une covoitureuse de Perpignan m’emmène au Hameau. Ce stage est un mystère pour moi mais l’enthousiasme, l’angoisse et l’attente sont diffusées dans les émotions de l’été ; car c’est cet été que j’ai quitté la Guadeloupe et que je reviens m’installer en France, en quête de nouveautés.
Réunion d’information salle Orion
Le Hameau a été privatisé pour le stage. Je rencontre mes compagnes de chambre, puis les 80 participants inscrits ainsi que les 20 encadrants facilitateurs. Comme en coaching collectif, on fait connaissance les uns avec les autres en se posant des questions par sous-groupes. On s’interroge sur nos passions, nos centres d’intérêt, nos qualités, nos ressentis. Les encadrants sont des chercheurs, médecins, psychologues ou artistes, tous transeurs confirmés. Je connais déjà la transe par les livres et interventions de Corine Sombrun, celle par qui tout a commencé, dans les médias. Je m’y intéresse depuis plusieurs années, comme toute découverte sur le potentiel du cerveau humain, notamment sur ses capacités d’autoguérison et de créativité artistique. Je me sens en continuité mais fébrile. Une partie du mystère me sera-t-elle révélée? Une porte va-t-elle enfin s’ouvrir sur une dimension inconnue? Est-ce possible?
S’il en existe, je voudrais apprendre et reproduire des mouvements
pour accéder à l’inspiration et à la fluidité (sans me casser la tête ni mes lunettes). J’ai déjà expérimenté cet état de flow en écrivant des chansons ou des romans, mais comment distinguer ce qui relève de la transe de ce qui ne l’est pas? Je me pose beaucoup de questions d’ordre (méta)physique. J’ai envie de mieux percevoir l’espace-temps, la relativité, d’autres dimensions, s’il existe des modèles préexistants aux formes. Oui, c’est vaste, plus vaste que ma seule conscience, et c’est bien pour ça que je suis là ! Plus prosaïquement, mes émotions sont confuses et j’ai un vécu de décalage entêtant. Le coaching m’a déjà appris à prendre de la largeur et de la hauteur. Vu que j’ai tout laissé derrière moi pour en arriver là, j’en avais besoin.
une transe volontaire n’engendre pas de détresse.
Pourtant, je sens à cette réunion que quelque chose ne va pas fonctionner pour moi. "Quand on teste une voiture, on essaye d’abord les freins", nous dit Corine. "On ne va pas plus vite que ce que l’on est prêt à explorer. Il s’agira d’observer, de laisser faire ou d’arrêter." La transe est une transformation de quelque chose en nous et une connexion à l’environnement. Elle amplifie les interactions, la créativité et l’adaptabilité. Elle enclenche des processus de guérison naturelle. Elle permet de faire un travail sur soi ou sur un projet, avec les autres, de se recentrer, et vite. Bref, elle est une clef de lecture d’informations et développe des capacités, à condition d’être en confiance. Suis-je suffisamment en confiance pour faire cohabiter de tels états? Je pense que oui, je suis d’un naturel volontaire. Et mon corps, que dit-il? Rien. Suis-je prête à prévoir des changements d’équilibre?
Le 29/08 – jour 1. On s’échauffe
en faisant "parler" nos articulations et en dansant. Ensuite, on s’allonge sur nos tapis de yoga et on ferme les yeux. Au premier test, des boucles sonores sont diffusées dans les haut parleurs de la salle Orion. Ce sont des fréquences brisées ou syncopées, ralenties ou accélérées, montées et démontées, inspirées du tambour chamanique mongol ; avec ça et là des bruits de tremblements de terre, d’eau en ébullition ou de cris d’animaux de jungle. De temps à autres, on entend des chants humains assez tribaux. Les facilitateurs ajoutent de l’étrangeté à cette ambiance avec du proto-langage (voir sources ci-dessous). Pour moi il ne se passe pas grand-chose, mais une fille se met à suffoquer pas loin.
L’instant d’après, c’est le chaos:
des cris, des chants, des sirènes. Que se passe-t-il d’un coup? Je relève la tête, des personnes se sont redressées. Corine Sombrun, accroupie devant moi, me demande si ça va. Je lui réponds "oui, mais on se connaît?" tout en ne comprenant pas pourquoi je dis ça. J’ai l’impression d’être sous psilocybine, en léger différé avec la réalité. D’ailleurs je me mets à rire du désordre qui règne dans la salle. Je remarque aussi que je claque un peu des dents, que ma bouche remue (mais aucun son ne sort) et que je bouge le bout de mes doigts. Ça tiraille dans les membres. Je m’étire, je soupire, je baille puis c’est le silence intérieur. Quand la musique s’arrête, j’ai le sentiment d’avoir induit une profonde relaxation pendant 5 minutes. J’apprends au premier debrief que la boucle sonore a en fait duré 20 min, et que les déformations subjectives du temps (tout comme l’envie de faire pipi et les courbatures) font partie de l’expérience. J’ai mal au crâne, signe que j’ai peut-être "retenu des choses".
Je ne vivrai pas grand-chose de plus
Durant les 15 tests suivants, il m’arrive de m’énerver, de me sentir vertigineuse ou de pleurer sans que me soit révélé le pourquoi de ces émotions (on ne cherche pas à les interpréter, et cette absence de verbalisation me gêne), même si des idées ou de la force me viennent (tombées du cerveau droit, paraît-il). Les facilitateurs entonnement alors des chants apaisants à mon oreille. Si mon corps avait un message à me faire passer, ça a toujours été le même besoin d’être soulagé, rassuré : calme-toi et reste tranquille. J’ignore si l’état de transe diffère peu de mon état habituel (vu que je suis souvent "dans la lune"), si j'ai décidé de me relaxer ou si c’est mon mental qui résiste. La frustration fait néanmoins place à une sorte d'amusement provoqué par les réactions du groupe, que je trouve folles et normales en même temps. Les gens vivent des moments extraordinaires tout en restant lucides. Certains voient des formes et des couleurs, d’autres babillent un langage fait d’intonations, poussent des cris ou pratiquent toutes sortes de gestes (touchers répétitifs, danses inconnues, mouvements amples) qui semblent correspondre à un besoin précis. Conformisme social? Effet idéomoteur? Heureux hasard? Les transes se terminent souvent par des chants très doux. Il se passe quelque chose d’enfantin et de primordial qui enrichit le groupe.
J’essaye en vain de toucher du doigt ce qui distingue mon état normal de la transe.
Ma conscience reste ainsi floue durant les cinq jours où nous travaillons notre volonté, notre imagerie intérieure, notre ancrage, l’intégration d’un état nouveau, les transes d’interaction, les micro-transes, le proto-graphisme (tracé spontané), la dranse et enfin l’auto-induction via des sons ou gestes répétés (secouer la main, tapoter le thorax...) jusqu’à ce que nos nouveaux chemins synaptiques rendent tout ceci inutile. Comme en coaching, on travaille sur soi : nos ressources, notre agentivité, l’autonomie, les changements émotionnels et relationnels, les transitions de vie… on répare des dissonances, quand ça en vaut la peine. Les soirées sont ponctuées de conférences sur les protocoles de recherches neuroscientifiques abouties et en cours, notamment au CHU de Liège. À ce jour, on ignore pourquoi les boucles sonores déclenchent ces transes (une étude doit débuter sur ce sujet à Marseille, affaire à suivre, ainsi qu’une autre concernant les effets de la transe sur la détresse émotionnelle des soignants). Les applications sont prometteuses. Je m’intéresse plus particulièrement à l’effet créatif de la transe : l’incitation au dessin, l’expression en proto-écriture et en proto-langage.
Frise collective (art brut ?)
En raison de son effet contagieux
et potentiellement déstabilisant (car dissociatif), nous n’avons pas le droit de transer devant des non-transeurs et les boucles sonores ne sont pas diffusables. J’espère que cette communauté va s’organiser dans les années à venir et que la transe deviendra un véritable sujet de recherches. Peut-être pourrai-je un jour en faire bénéficier des clients pour aller chercher leur joie profonde, travailler leurs intuitions, leurs émotions et leur créativité – en les affranchissant de leurs conditionnements via des gestes normativement interdits. S’autoriser, c’est déjouer l’auto-censure. Jouer, sentir la vie, le mouvement, le rapport à soi, l’ouverture au monde ; et que la parole ne soit pas un obstacle. En attendant, j’avance à petits pas dans l’histoire et dans ma géographie intérieure.
en images
Quand la transe se termine, le dessin commence. Extraits ci-dessous.
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En savoir plus :
Le site du TranceScience Research Institute
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